Quelle place l’art-thérapie fait-elle au Sujet ?

Du point de vue de l'art-thérapie contemporaine ...

Par Catherine Dang Van Phu

Quelle place « accordée » à l’autre au sein d'une rencontre d’art-thérapie contemporaine ?

et si nous accordions sans accorder ?

La question ainsi posée à l’oral, nous ferait nous attendre à considérer l’infinitif du verbe « accorder » plutôt que sa forme conjuguée au participe passé. Pourtant à l’écrit, c’est bien « accordée » à la place dont nous faisons référence. Dans le questionnement de cette fameuse place « accordée » au sein de la rencontre art-thérapeutique, cette tournure de phrase, ce parti pris syntaxique, m’interpelle tant elle interroge sur la nature de ce qu’on veut bien « accorder » à l’autre.

Ainsi conjugué, l’infinitif du verbe « accorder » perd de sa toute-puissance esseulée et s’accorde avec le mot « place ». Place qui cesse d’être octroyée à l’initiative unilatérale de l’art-thérapeute et devient le berceau de ce qui est déposé comme une invitation dont le sujet pourra se saisir…ou pas.

En mettant à disposition un espace que l’autre peut venir investir dans son expression singulière, l’art-thérapeute a conscience de sa consistance d’être de désir et fait un pas de côté pour resituer le mouvement du côté du sujet.

Dans cet écart, vers cette place accordée, l’autre peut ainsi formuler une demande, comme un premier mouvement vers son propre désir. Ce double mouvement rend compte de l’importance de la place accordée dans le processus de rencontre, sans laquelle il n’y aurait pas de rencontre : un professionnel qui attribue un espace à l’autre avec le désir que ce dernier vienne l’investir, n’inclut pas le sujet dans la rencontre, au contraire, il l’en exclut.

Il se conduit comme un chef, alors qu’il n’y a pas de chef dans cet orchestre où la partition se joue à deux. Ainsi conjuguée à cette place comme une invitation à cueillir, s’accordent dans la rencontre les notes d’un possible appel adressé à l’Autre.

Dans sa forme transitive, « accorder une place », c’est y mettre un objet qui vient recouvrir le manque sur une « place accordée » qui reste à prendre. En comblant le manque, l’objet fait taire le sujet, le prive de la formulation de son désir et l’expression singulière de sa quête.

En effet, celui qui accorde une place l’attribut et la façonne selon son désir propre, alors qu’une place accordée se conjugue d’un espace laissé à l’autre ouvrant aux possibles multiples de la rencontre : le sujet se saisira t–il du dispositif ? Dans un cas ou dans l’autre, de quelle manière le fera t-il ? Des ingrédients mis à disposition, quelle musicalité en ressortira-t-il ? De cette partition à cheminer sans l’impératif d’en faire une mélodie, quelle ballade s’en élaborera le sujet dans l’ailleurs de la séance ?… Des questions qu’il n’appartient pas à l’art-thérapeute d’en obtenir une réponse, mais qui le mettent devant l’évidence et la nécessité de resituer le savoir du côté du sujet. Ce dernier ne sait pas qu’il sait, mais il sait. Aussi, convient-il dans la rencontre art-thérapeutique, que la place accordée à l’autre ne soit pas limitée à soi et aux projections non mises au travail, mais qu’elle puisse se faire l’écueil d’un possible à dire ou à mi-dire dans ses formes multiples et singulières.

Ainsi est mis l’accent sur la nécessité pour l’art-thérapeute de se mettre en creux pour laisser la place à l’expression originale et protéiforme du sujet, avant de terminer sur la nature de ce qui vient s’inviter dans la rencontre dans la place accordée à l’autre. L’espace que nous évoquions, comme le réceptacle de l’expression singulière du sujet, s’accorde ici avec le temps de la séquence art-thérapeutique qui ouvre à une temporalité propice à l’articulation de la demande. Cette invitation à l’expression du désir s’arrime dans un temps où l’exigence du dire se satisfait d’un mi-dire, où l’accomplissement par la production artistique laisse place à un mi-faire qui s’invente dans une poésie créatrice, dans l’intervalle où quelque chose se bricole, se joue, se chemine, s’enchante au cours d’une délicieuse errance. Se déployer dans l’espace, le temps, dans la place accordée, c’est aussi risquer de se heurter à ses parois, comme un rappel que tout n’est pas possible dans l’expérience de la castration. Ainsi, la place accordée dans la rencontre est un lieu physique et symbolique dont les contours bordent la séance. Cette délimitation vis-à-vis du tout-possible vertigineux place le sujet face à l’altérité ; un transfert peut ainsi s’instaurer et concourir à l’émergence de signifiants nichés dans les plis du symptôme.

Du devenir de ce qui se répète en séance – que l’art-thérapeute contemporain ne cherche ni à interpréter ni à induire dans une quelconque direction – la place accordée à l’autre au sein de la rencontre, sa qualité, qui s’évalue au sens du désir éthique de neutralité (entre autres choses), ouvre le sujet aux possibilités de sa réactualisation sous des formes nouvelles.

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Sources